Apport de l’électroporation

Principes de l’électroporation :

L’électroporation, et plus précisément l’électrochimiothérapie, consiste à perméabiliser la membrane cellulaire en appliquant des impulsions électrostatiques, ce qui permet aux molécules de chimiothérapie hydrophiles de diffuser dans les cellules cancéreuses. Développée avec des impulsions ms et µs, la recherche cible plutôt maintenant les impulsions ns (domaine de la nanoseconde). Les effets biologiques des impulsions électromagnétiques ultracourtes sont maintenant bien étudiés (Kenaan [13]). Il a été mis en évidence que toutes les membranes cellulaires étaient perturbées par ces impulsions, y compris la membrane externe de la cellule et quelque soit la durée des impulsions pourvue qu’elle soit supérieure à 2 ns. Les champs électriques de haute fréquence (supérieure à quelques MHz) sont capables de traverser une majorité de milieux, y compris diélectriques, et de s’y propager, contrairement aux signaux de plus faible fréquence qui sont limités à la propagation en milieu conducteur. Ces impulsions ultra rapides et de très grande amplitude ont un effet modéré sur la membrane externe de la cellule mais les champs appliqués pénètrent dans le milieu interne et agissent sur les membranes des sous-systèmes cellulaires. Dans le cas d’impulsions nanosecondes et sub-nanosecondes, les charges électriques n’ont pas le temps de se déplacer et de modifier le potentiel transmembranaire permettant d’aboutir au processus d’électroporation (El Amari [14]). Plus récemment, Villemejane [15] a confirmé que les effets biologiques dépendaient du courant de déplacement (effet capacitif des membranes) et que l’applicateur pouvait être isolé : l’avantage de cette technique est qu’elle permet de limiter voire annuler le courant de conduction, source principale de l’échauffement par effet Joule. Les impulsions ultra-courtes sont donc capables d’atteindre l’intérieur de la cellule et en particulier d’affecter les vésicules internes, notamment les mitochondries, en partie régulatrices de l’apoptose, ou encore le réticulum endoplasmique, réservoir à calcium pour la cellule, sans affecter ou en affectant très peu la membrane plasmique.

Applications in vivo chez l’animal :

En 2010, Nuccitelli et al. [16], en injectant 106 cellules B16-F10-eGFP sous la peau de souris immunodéficientes ont obtenu des mélanomes de 3-4 mm de diamètre après 5 jours. Ces tumeurs ont ensuite été traitées à l’aide d’un système complexe d’électrodes à ventouse avec aiguilles (écartement de 4 mm). L’application d’un train de 2000 impulsions de 100 ns et 30 kV/cm à une fréquence de 7 Hz a conduit à une régression complète des tumeurs sur l’ensemble d’une cohorte de souris. 7 Hz était la fréquence la plus élevée d’impulsion qu’ils pouvaient utiliser sans élever la température de la tumeur et de la peau traitée au-dessus de 37°C. L’efficacité était strictement limitée aux cellule situées entre les électrodes. L’explication possible de l’efficacité de ce traitement, avancée par cette équipe, serait la faculté des impulsions ns à induire l’apoptose directement par altération de l’ADN, et indirectement par augmentation de la concentration de Ca2+ intracellulaire.

Sur des souris LBP inoculées en sous-cutané avec environ 106 cellules de fibrosarcome murin, avec une amplitude du champ mesurée de 2,5 kV/mm et des impulsions de 10 ns (Silve [17]), l’action de 3000 impulsions appliquées à 10 Hz a probablement déjà un léger effet sur la croissance tumorale.

Il a été montré que les impulsions électriques peuvent induire une endocytose (Glogauer et al. [18]) ou macropinocytose (Rols et al. [19]).

En 2012, Nuccitelli et al. [20], avec un autre modèle tumoral chez des souris immunocompétentes, ont recherché s’il existait une stimulation immunitaire. Après leur traitement standard comme décrit en 2010 (nanoablation), ils ont injecté une nouvelle tumeur, puis réalisé une excision versus une nanoablation (2ème traitement) et ensuite une nouvelle injection 14 ou 28 jours après. A 28 jours, ils ont noté une diminution de la croissance après excision et une diminution beaucoup plus nette après nanoablation : ceci a permis de mettre en évidence le rôle du second traitement pour stimuler les défenses immunitaires. La recherche de CD4+ était négative dans le mélanome non traité ou après une seule séance de nanoablation à 12 jours post traitement, mais positive à 19 ou 32 jours.

En 2013, Nuccitelli et al. [21] ont confirmé l’importance de l’augmentation du calcium intracellulaire pour l’apparition de radicaux libres et l’apoptose et ont suggéré que c’en est même une des premières étapes.

En 2014, Nuccitelli et al. [22] ont réalisé une première expérimentation chez l’Homme. Ils ont traité 10 carcinomes baso-cellulaires chez 3 patients avec 100 impulsions de 100 ns à 30 kV/cm et à 2 Hz. Ils ont obtenu 7 guérisons et 2 régressions partielles. Les 3 échecs étaient dus au fait qu’ils n’avaient pas pu appliquer un traitement sur la totalité de la lésion. Après traitement, ils ont observé l’apparition d’une croûte temporaire. Pour eux, cela valide l’innocuité de la méthode chez l’Homme et l’intérêt de ce traitement pour les petits baso.

En 2014 également, Chen et al. [23] ont réalisé des implantations intra hépatiques de carcinome hépatocellulaire chez le rat en utilisant des cellules N1-S1 HCC puis ont appliqué un traitement de type nanoablation à l’aide de multi électrodes à aiguilles. Les mesures ont montré un taux de 80-90% de réponse pour 1000 impulsions de 100 ns à 50 kV/cm et à 1 Hz. Les rats ont ensuite rejeté une seconde implantation dans le foie : compte tenu de cet effet, de l’infiltration de cellules immunitaires et de la présence de granzyme B, les auteurs ont suggéré la possibilité d’une réponse immunitaire adaptative anti-tumorale qui protège les animaux contre les récidives du même cancer.

Paramètres utilisés dans les expériences in vivo :

Les valeurs seuils de formation des nanopores ont été établies à 6 kV/cm pour une impulsion de 60 ns. Des impulsions plus nombreuses et plus intenses amènent au passage de calcium à travers la membrane plasmique. Au-delà d’une valeur seuil de 100 kV/cm, il a été observé une entrée de calcium dans la cellule liée à la déstabilisation de la membrane plasmique et non plus seulement à celle des enveloppes des organites intracellulaires. L’étude de Beebe et al. [24] apporte une autre dimension à l’effet des impulsions ns, ajoutant la durée des fronts de montée et de descente des impulsions comme un paramètre déterminant pour le ciblage des organites, les temps les plus courts permettant toujours de cibler préférentiellement les membranes internes. L’étude confirme également le rôle fondamental du calcium.

18/03/15